Les entreprises et leurs investisseurs doivent se soucier de la résilience des organisations (Pictet AM)

Le concept de résilience n’a jamais été aussi pertinent pour les entreprises et leurs actionnaires, déclare le professeur Garry Peterson, l’un des grands noms de la recherche sur la résilience et la transformation.
Par Mega by Pictet et Garry Peterson
Le concept de résilience, autrement dit la capacité d’une organisation ou d’une entreprise à faire face à des événements extrêmes, gagne en importance dans les milieux académiques et politiques, ainsi que dans le domaine des questions environnementales. Mais les entreprises et leurs actionnaires sont à la traîne pour intégrer cet aspect dans leur prise de décision.
Au Stockholm Resilience Centre, nous définissons la résilience comme la capacité d’un système – qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un portefeuille d’investissement – à résister aux perturbations, à s’adapter dans l’urgence et à continuer à évoluer(1).
La résilience n’est pas seulement un concept à la mode. Face à l’instabilité actuelle, la réflexion sur la résilience est essentielle pour les entreprises et la communauté financière, car elle offre une perspective d’investissement tournée vers l’avenir : Un moyen d’évaluer la volatilité, de découvrir les passifs cachés et d’identifier les stratégies qui créent une valeur durable.
La résilience n’est pas un poste dans un bilan ni une évaluation dans un tableau de bord ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). La résilience ne consiste pas à chercher l’écologie uniquement sur le papier ; elle implique d’évaluer la manière dont une entreprise, une division ou un investissement donné va performer dans un monde volatil et incertain.
La résilience est la différence entre une entreprise qui résiste aux crises et une entreprise qui s’effondre face à elles. Elle détermine si un portefeuille continue à générer des performances lorsque des vagues de chaleur paralysent les datacenters, des inondations provoquent la fermeture d’aéroports ou des feux de forêt perturbent les chaînes d’approvisionnement.
Un système résilient absorbe les chocs, s’adapte et trouve des moyens de répondre à la nouvelle donne. Pour les entreprises et leurs investisseurs, la question est claire : en période de turbulences, cet actif conservera-t-il sa valeur ou la perdra-t-il ?
Évaluer la résilience
Les chercheurs en socio-écologie ont identifié un ensemble de principes pour renforcer la résilience des organisations(2). À partir d’eux, le cadre suivant peut aider les entreprises et leurs parties prenantes à adopter une approche axée sur la résilience et à évaluer la résilience d’une entreprise ou d’un portefeuille.
- Surveiller l’exposition aux chocs : les dangers climatiques ne sont pas hypothétiques. La sécheresse en Europe en 2022 a asséché le Rhin, immobilisé des péniches et perturbé les exportations. Les incendies de cette année à Los Angeles ont détruit des millions de foyers et ébranlé le secteur de l’assurance. Ces événements sont un avant-goût de ce qui nous attend. Une analyse spatiale haute résolution qui combine des prévisions climatiques et écologiques avec des données au niveau des actifs peut révéler des risques importants pour la performance des entreprises et des investissements.
- Analyser les dépendances cachées : chaque entreprise s’appuie sur des systèmes critiques : eau, électricité, transport, gouvernance. Une usine peut sembler rentable jusqu’à ce que vous découvrez qu’elle dépend de réserves aquifères qui s’amenuisent, d’un centre de données raccordé à un réseau surchargé ou d’échanges commerciaux non soumis à des droits de douane. Les dépendances cachées sont souvent des passifs non évalués. Il est aussi important de les comprendre que d’évaluer l’actif lui-même.
- Suivre les variables environnementales à évolution lente : la résilience du système est façonnée par des changements progressifs qui sont souvent ignorés : le recul des côtes, l’abandon des terres rurales, la propagation des espèces invasives ou l’érosion des capacités institutionnelles. Ces changements passent souvent inaperçus jusqu’à ce qu’un événement inattendu ou inhabituel se produise, comme les feux de forêt de Maui en 2023 qui ont détruit une grande partie de Lahaina, l’ancienne capitale du Royaume d’Hawaï et un centre touristique. Le suivi de ces variables lentes permet d’anticiper le franchissement imminent d’un seuil avant qu’il ne déclenche des pertes importantes.
- Rechercher les signes d’instabilité : Les systèmes affichent souvent des signaux d’alerte précoces avant les changements brusques. Les lacs mettent plus de temps à revenir à la normale après les invasions d’algues, la terre est nue sur des zones de plus en plus grandes dans des prairies et les populations de poissons présentent des cycles de restauration des capacités de production plus longs. Les entreprises révèlent aussi des modèles similaires : Une plus grande variabilité des résultats, une reprise plus lente après des chocs et des augmentations soutenues du turnover des employés peuvent tous signaler une érosion de la résilience. Les investissements dont la reprise prend plus de temps à chaque perturbation peuvent aussi approcher d’un point de basculement.
- Évaluer l’agilité organisationnelle : La résilience dépend des personnes et de la gouvernance. Les entreprises qui apprennent, expérimentent et s’adaptent peuvent réaffecter les ressources et ajuster leurs stratégies lorsque les conditions changent. Celles qui sont enfermées dans des routines rigides peuvent réaliser des gains à court terme, mais leurs bilans pâtissent souvent de nouveaux types de turbulences.
- Évaluer la gestion de la nature : Chaque entreprise s’appuie sur des réservoirs d’eau, des sols, des forêts, des pollinisateurs. Certaines organisations les traitent comme des amortissements d’actifs, les dégradant ce qui augmente à la fois les risques physiques (p. ex. perturbations de l’approvisionnement) que transitionnels (p. ex. sanctions réglementaires ou atteinte à la réputation). D’autres réinvestissent activement dans leurs fondements écologiques, réduisant ainsi les risques tout en identifiant de nouvelles opportunités. Les performances financières à long terme d’un investissement dépendront de plus en plus de la sécurisation de sa base de capital naturel ou de son érosion.
L’impératif de la résilience
L’empreinte environnementale de l’humanité a considérablement augmenté au cours des 200 dernières années avec le développement technologique qui a permis de modifier la planète pour répondre aux demandes croissantes de la population.
Il est désormais clairement établi que les bénéfices obtenus grâce à ces progrès ont eu un coût pour le monde naturel.
Cela dit, la même capacité d’innovation qui nous a conduits à la situation actuelle peut également nous en extraire, à condition qu’elle soit orientée vers des solutions qui améliorent le bien-être humain tout en renforçant les écosystèmes qui soutiennent les économies.
Et c’est ici que la pensée résiliente – qui encourage l’innovation – intervient.
Des exemples de solutions de résilience innovantes émergent déjà: Une agriculture régénératrice qui améliore la fertilité des sols, réduit la dépendance aux intrants coûteux et produit des aliments plus sains ; une infrastructure urbaine verte qui rafraîchit les villes, gère les inondations, crée des espaces permettant aux gens de se reconnecter à la nature, tout en augmentant la valeur de l’immobilier environnant; des installations solaires qui améliorent les habitats des pollinisateurs tout en maintenant la production alimentaire, la biodiversité et en générant de l’énergie propre; la restauration des mangroves et des zones humides qui protègent les actifs côtiers des tempêtes tout en soutenant les différents types de pêche et en stockant du carbone; et des banques d’eau novatrices qui garantissent un approvisionnement en eau propre pour les villes en finançant une gestion durable des terres et le renouvellement des ressources aquifères.
La résilience peut guider les investissements, réduire les risques, débloquer de nouvelles sources de revenus et renforcer les fondations commerciales, sociales et écologiques de la performance à long terme du portefeuille.
Celles et ceux qui considèrent la résilience non pas comme un slogan, mais comme une discipline de la gestion d’entreprise et de la prise de décision d’investissement (surveiller les signaux, réaffecter le capital et adapter les stratégies en fonction de l’évolution des conditions) survivront non seulement à la prochaine décennie de chocs, mais aideront également à construire des fondations qui prospèreront au-delà.
(1) https://www.stockholmresilience.org/research/research-news/19/02/2015-what-is-resilience.html
(2) https://www.resalliance.org/resilience