Pourquoi la « value » européenne mérite un nouveau regard (M&G)

Après plus de vingt ans à gérer des stratégies « value » européennes, le gérant du fonds M&G (Lux) European Strategic Value Fund explique pourquoi ce moment pourrait être décisif pour ce style d’investissement et ce qui distingue son approche.
Par Richard Halle, gérant chez M&G Investments
En tant que gérant de stratégies « value » européennes depuis plus de vingt ans, pourquoi rester fidèle à ce style malgré des contextes de marché variés ?
J’ai toujours eu la conviction profonde que le style « value » fonctionnait. Même pendant de longues périodes où il a été délaissé, nous avons réussi à générer de la performance. C’est pourquoi nous considérons ce fonds comme bien plus qu’une simple exposition à la « value ». C’est une stratégie active et différenciée, qui a fait ses preuves dans des environnements de marché variés. D’un point de vue personnel, l’investissement « value » est une démarche passionnante. L’évolution des marchés fait émerger des opportunités dans des entreprises et des contextes divers. Ce processus continu de recherche de nouvelles sources de rendement rend ce métier à la fois stimulant sur le plan intellectuel et particulièrement gratifiant.
Que signifie être véritablement contrariant et quel a été votre pari contrariant le plus marquant ?
Pour moi, être contrariant ne consiste pas à investir dans les opportunités les plus impopulaires ou inconfortables juste pour se démarquer, c’est avant tout à une question de timing. Souvent, nous prenons des décisions d’achat ou de vente à des moments où la plupart des investisseurs rationnels se demanderaient : « Pourquoi faire cela maintenant ? », et non « Pourquoi faire cela ? » tout court. Un bon exemple est celui d’Electrolux en 2009. Acquérir une entreprise d’électroménager en pleine crise financière — alors que la demande des consommateurs était faible et que les ménages s’étaient déjà équipés en produits blancs — paraissait contraire à la logique dominante. Mais la valorisation était attractive, et l’action a quasiment triplé en six mois. Cela a rappelé de manière précieuse que les marchés pouvaient se réévaluer bien plus rapidement que prévu.
En quoi l’expérience et la stabilité de votre équipe contribuent-elles au succès à long terme du fonds ?
La gestion d’actifs suppose une pression considérable, et le fait de disposer d’une équipe très expérimentée et stable permet d’y faire face efficacement. Pour les investisseurs « value » en particulier, l’un des principaux facteurs de réussite consiste à gérer les biais comportementaux. Cela devient beaucoup plus facile lorsque l’on travaille aux côtés de collègues ayant traversé des cycles de marché similaires et qui savent rester disciplinés. La solidité et la stabilité de notre équipe ont été un facteur clé du succès à long terme du fonds.
L’investissement value peut être volatil. Comment votre processus en trois étapes contribue-t-il à en atténuer les effets pour les investisseurs ?
Lorsque nous avons lancé le fonds, nous voulions répondre à la perception selon laquelle l’investissement « value » était fortement volatil, ce qui peut rebuter certains clients. Nous avons conçu ce processus afin de tenter de rendre ce parcours plus fluide. Chaque étape du processus — de la sélection à l’analyse fondamentale en passant par l’élaboration du portefeuille — vise à réduire les risques que nous ne pouvons pas maîtriser. Nos portefeuilles sont fortement diversifiés, et nous consacrons beaucoup de temps à réfléchir à la manière de gérer la volatilité sans compromettre les opportunités de rendement.
Les actions européennes connaissent un regain d’intérêt en 2025. Cette rotation vers la « value » est-elle un phénomène à court terme ou plus structurel ?
Nous sommes convaincus que la value fonctionne pour des raisons identifiables. Les 15 années post-crise financière ont été atypiques, la value n’ayant pas tenu ses promesses pour des raisons que nous pensons connaître. Aujourd’hui, les dynamiques de marché redeviennent plus normales, avec la valorisation comme facteur clé. L’écart reste important entre actions value et actions de croissance, ce qui, selon nous, plaide en faveur de la value. Elle conserve ainsi un fort potentiel de performance.
En quoi les récents changements politiques et économiques, dont le plan de relance allemand, ont-ils modifié les opportunités pour les investisseurs « value » ?
Le plan de relance allemand pourrait jouer un rôle clé en soutenant la croissance et l’investissement en Europe, au bénéfice de nombreux secteurs orientés « value » auxquels nous sommes exposés. Si elle réussit, elle pourrait également attirer de nouveaux capitaux internationaux vers l’Europe — un facteur majeur pour la région et pour notre portefeuille. Durant une grande partie de la dernière décennie, les investisseurs ont massivement alloué leurs capitaux aux actions américaines, soutenues par une faible volatilité, une dynamique robuste et des banques centrales accommodantes. Les années 2010 ont été marquées par un environnement relativement stable et porté par les tendances qui a favorisé les styles de croissance et de qualité. Les conditions politiques et économiques ont évolué. Nous sommes désormais dans un monde plus volatil et imprévisible, ce qui peut créer un univers d’opportunités beaucoup plus riche pour les investisseurs « value » contrariants.
Où trouvez-vous actuellement les opportunités les plus intéressantes ?
Ce qui ressort dans l’environnement actuel, c’est l’ampleur des opportunités. La « value » a été sous-représentée pendant si longtemps — une grande partie des capitaux en Europe ayant été orientée vers la croissance ou les stratégies passives — que les erreurs de valorisation sont désormais communes dans de nombreux secteurs. Cette dispersion généralisée nous permet de construire un portefeuille très diversifié, sans concentration excessive du risque. Nous détenons généralement entre 60 et 100 titres, aucune position individuelle ne représentant plus de 3% du portefeuille. Récemment, nous avons été plus actifs que d’habitude pour profiter de la volatilité. Au second semestre de l’an dernier, le sentiment s’est nettement retourné contre l’Europe, ce qui nous a permis d’acheter des titres intéressants à des valorisations particulièrement attractives. Début 2025, nombre de ces titres ont fortement rebondi, et nous avons vendu à la faveur de cette hausse. Lorsque les marchés ont corrigé après le « Liberation Day » en avril, nous avons réinvesti. Il en résulte un portefeuille renouvelé, reflétant un univers d’opportunités dynamique.
Enfin, quel rôle la « value » européenne peut-elle jouer aujourd’hui dans un portefeuille bien diversifié ?
La plupart des portefeuilles mondiaux restent fortement exposés aux États-Unis et ce positionnement a généré de solides résultats au cours de la dernière décennie. Cependant, à l’heure actuelle, de nombreux investisseurs s’interrogent sur la pérennité de cette tendance, compte tenu des valorisations actuelles et de la saturation de ce positionnement. L’Europe constitue une alternative convaincante. Elle propose des entreprises solides, des valorisations plus attractives que celles de leurs homologues américaines et un contexte politique et économique plus favorable que tout ce que j’ai pu observer au cours de ma carrière. L’Europe dispose d’un système bancaire robuste, de marchés clients en amélioration et d’une dynamique positive portée par la relocalisation des chaînes d’approvisionnement. Si les efforts de relance — comme ceux de l’Allemagne — s’avèrent efficaces, ils pourraient soutenir une reprise généralisée. Il ne s’agit pas seulement d’une question de valorisation ; c’est le signe d’un tournant dans la dynamique de marché. Le prochain chapitre de l’Europe pourrait offrir des opportunités considérables.