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Amplegest - Le « S » de l’ESG reste trop souvent lettre morte

21/03/2023

De plus en plus encadré par la réglementation, le pilier environnemental du triptyque ESG jouit aujourd’hui d’une large médiatisation et d’une implication croissante des entreprises. De même, la gouvernance est très surveillée par les investisseurs et fait l’objet d’un engagement actionnarial important. Mais les critères purement sociaux restent trop souvent absents des grilles de lecture, et constituent un angle mort de l’engagement des entreprises. Il convient de délimiter puis d’harmoniser les indicateurs pertinents pour enfin redonner de la visibilité à ce critère essentiel du développement durable. En évitant bien sûr le « blue washing ».

 

Un pilier complexe et difficile à mettre en œuvre.

Contrairement à la dimension environnementale du triptyque ESG, basée sur des approches scientifiques et sur des seuils de pollution mesurables par consensus, l’appréhension des sujets sociaux dépend beaucoup des normes culturelles. Aux Etats-Unis, par exemple, la diversité au sens de représentation ethnique est très valorisée, au contraire du turn-over, perçu comme relativement normal. Ainsi, les entreprises américaines ne publient que rarement leurs chiffres de rotation du personnel, critère pourtant pris en compte en Europe afin d’évaluer le bien-être des collaborateurs. L’Europe est par ailleurs beaucoup plus axée sur la parité au sein des organisations que ses homologues outre-Atlantique, et tend à surpondérer ce facteur dans sa communication et dans l’évaluation de ces dernières. Il semble donc compliqué pour une société de gestion de synthétiser ces différentes conceptions et de savoir comment les pondérer lors de la sélection des valeurs. D’autant plus si elle opère à l’international, ce qui est aujourd’hui le cas de la majorité d’entre elles.

Suite à la mise en place de la taxonomie environnementale et des derniers débats de l’Union Européenne, une taxonomie sociale devrait être à l’étude. Mais ce sujet, très technique, implique une convergence des différentes conceptions du travail au sein de l’UE. Car les indicateurs permettant d’appréhender la réalité sociale d’une entreprise sont subjectifs. Comment définir, par exemple, un « bon turnover » ? Plusieurs interprétations peuvent se croiser. Si un turnover trop élevé manifeste parfois un manque d’attractivité ou de cohésion en interne, un turnover trop faible peut de même souligner un faible dynamisme de l’entreprise et un manque d’innovation. Comment, de plus, collecter les données nécessaires à ces analyses, qui relèvent de valeurs propres à chacun ? Mener des interviews qualitatives auprès des collaborateurs peut se révéler coûteux et chronophage. Et en cas de perceptions contraires, quel arbitrage effectuer pour obtenir un tableau représentatif des pratiques de l’entreprise ?

 

Une dimension plus actuelle et stratégique que jamais.

De nombreuses controverses ont récemment défrayé la chronique et rendu ces problématiques plus actuelles que jamais. Le scandale ORPEA et les interrogations relatives à TELEPERFORMANCE (accusé de dumping social en Colombie), ont renforcé une dynamique de méfiance de la société civile à l’encontre des entreprises. En outre, les scandales autour du travail des Ouïghours, du travail des enfants, des ateliers clandestins dans certains pays en voie de développement ont rendu tangible ce pilier social et son importance stratégique.

Plusieurs lois existent déjà pour encadrer certains de ces enjeux. La loi Copé-Zimmerman, votée en 2011, a permis à la France d’atteindre le premier rang mondial en termes de représentation des femmes aux conseils d’administration des grandes entreprises cotées. Ainsi, en 2021, ces instances comptaient plus de 46% de femmes en moyenne. Mais il serait malvenu de crier victoire trop vite, car, on ne retrouve pas ces dynamiques dans les comités exécutifs et de direction des petites et moyennes capitalisations ou des sociétés non cotées, ces postes n’étant occupés par des femmes que pour moins d’un quart au sein des groupes du SBF 120 en 2021.

La loi Rixain de 2021 entrera en vigueur en 2026, et obligera les entreprises à publier leurs ratios de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres supérieurs et les membres des différentes instances de direction. La loi dispose de plus la présence d’un minimum de 30% de femmes disposant de ce statut, puis de 40% au premier trimestre 2029. Il s’agit donc, tout comme la transition écologique, d’une tendance structurante sur le long-terme. Les acteurs qui parviendront à concrétiser leur approche sociale seront les premiers à profiter de ces retombées législatives. Sans parler des attentes des consommateurs, de plus en plus sensibles à ces causes.

 

Quels indicateurs pour aller de l’avant ?

Il y a donc urgence à élaborer une taxonomie sociale à l’échelle européenne, dès lors que les initiatives existantes ne vont pas assez loin ou ne couvrent qu’un pan de ces sujets. Mais il convient de montrer la même méfiance que pour les engagements écologiques des entreprises, et d’exiger des preuves de bonne foi ainsi qu’un reporting fréquent des résultats. De la même manière, un audit des activités de l’entreprise semble nécessaire pour distinguer les réelles politiques des stratégies de communication. Cela sous peine de blue washing, équivalent social du green washing. Les facteurs les plus pertinents à surveiller sont ceux qui influencent directement l’activité de l’entreprise, à savoir qui entrent dans sa chaîne de valeur : production des biens, prestation des services, sourcing des matières premières, gestion de la main d’œuvre, etc. Conforme à cet esprit, la nouvelle directive européenne NFRD (non financial reporting directive) qui encadre aujourd’hui les déclarations de performance extra financière des sociétés européennes sera bientôt remplacée par une nouvelle directive plus ambitieuse (la directive UE 2022/2464 dite CSRD (corporate sustainability reporting directive). En s’appuyant sur des normes européennes harmonisées, les sociétés devront, à partir de 2024 et 2025, publier des informations détaillées sur leurs risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance. Une vérification obligatoire de l’information sera effectuée par un commissaire aux comptes ou un organisme indépendant.

Il est temps que le « S » de l’ESG trouve sa place aux côtés des deux autres critères, sans lesquels le développement durable restera incomplet, et donc inefficace.

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