L'analyse d'Abdoullah Sardi, gérant actions - Amplegest Digital Leaders.
L’intelligence artificielle, particulièrement l’IA générative, est largement débattue pour son potentiel à transformer la société et le monde du travail. Sa puissance de transformation promet des améliorations inédites en matière de gain productivité, d’innovation et d’agilité, influençant tous les aspects de notre vie quotidienne. Si ce discours a motivé d’importants investissements dans les infrastructures d’IA, un autre domaine profond et moins médiatisé en est tout autant affecté : la guerre.
Nouveaux paradigmes de bataille
Au même titre que l’avènement de la poudre à canon au XIVe siècle, qui révolutionna les techniques militaires et mit fin à la domination des chevaliers armés de lances et d'épées, ou encore l'introduction de la bombe nucléaire en 1945, qui bouleversa durablement l'équilibre géopolitique mondial, l’IA constitue un tournant décisif dans la nature même de la guerre. Imaginez un champ de bataille doté du meilleur pilote de chasse, mais sans les contraintes humaines telles que la peur, la fatigue ou les limites physiques comme la résistance aux forces G, et disposant d’une parfaite conscience tactique et d’une précision chirurgicale. Ce scénario devient réalité, et bientôt, un conflit opposant une nation dotée d'IA à des forces traditionnelles ressemblera à un combat entre des fusils mitrailleurs et des épées.
L’impact de l’IA s'étend désormais à tous les aspects de la guerre, des opérations stratégiques à la logistique et aux chaînes d’approvisionnement. Durant le conflit en Ukraine, l’usage intensif des drones FPV (First-Person View), pilotés à distance pour cibler précisément des véhicules blindés, des chars et des positions fortifiées, a mis en évidence leur redoutable efficacité sur le champ de bataille moderne. Certains drones sont même totalement autonomes, opérant sans intervention humaine directe. L'exemple du drone européen Helsing HX-2 illustre parfaitement ce nouveau type de technologie militaire, capable d'identifier, suivre et engager des cibles en toute autonomie. Cette innovation technologique remet profondément en question l'utilisation traditionnelle d’avions de chasse pour neutraliser les chars et l'artillerie ennemie, notamment en raison du coût élevé et de la complexité logistique de ces aéronefs conventionnels.
Aux États-Unis, l'entreprise Boston Dynamics développe des robots avancés tels que « Spot » ou « Atlas », capables d'opérer dans des environnements hostiles pour des missions de reconnaissance, de surveillance ou d’assistance logistique. Par exemple, le robot « Spot » a été déployé par l'armée française en 2021 lors d'exercices de reconnaissance en terrain difficile, démontrant sa capacité à recueillir des renseignements et assurer la sécurité des soldats en évitant leur exposition directe aux dangers. Ces systèmes robotisés, assistés par l’IA, peuvent se déplacer et effectuer des missions complexes de façon autonome, réduisant significativement les risques humains.
Nouveau périmètre de guerre
Cependant, à l’ère de l’IA, la guerre ne se limite pas aux conflits physiques. La cyberguerre est devenue un champ de bataille crucial, capable de semer le chaos dans les infrastructures civiles telles que les hôpitaux, les réseaux de transport et les systèmes de gestion du trafic aérien. Les cyberattaques assistées par l’IA peuvent identifier rapidement les vulnérabilités des systèmes, introduisant des menaces inédites. Dans ce contexte, les campagnes de désinformation utilisant des deepfakes et des armées de bots représentent une menace sérieuse pour la stabilité démocratique. Un exemple tristement célèbre est celui de « Team Jorge », qui a utilisé l’IA pour manipuler l’opinion publique et déstabiliser des élections nationales au profit d’intérêts géopolitiques.
La course à la domination militaire par l’IA est fondamentalement une lutte pour la suprématie géopolitique entre les grandes puissances mondiales. Les restrictions imposées par les États-Unis sur les exportations de semi-conducteurs vers la Chine depuis 2018 illustrent l’importance stratégique accordée à la technologie d’IA comme déterminant de la future domination militaire et géopolitique.
Risques et enjeux éthiques
Cette compétition intense présente également des risques considérables. Une guerre d’IA non réglementée pourrait aboutir à des systèmes létaux autonomes prenant des décisions de vie ou de mort sans supervision humaine, suscitant de sérieuses préoccupations éthiques et humanitaires. L’IA pourrait aussi faciliter la création de nouvelles menaces chimiques ou biologiques en concevant de manière autonome de nouveaux composés. Ces évolutions risquent de compromettre profondément la responsabilité morale, nous éloignant toujours davantage des décisions critiques telles que cibler ou épargner.
Face à ces enjeux majeurs, plusieurs actions ont été initiées pour encadrer l’usage des intelligences artificielles dans le domaine militaire. L’Union Européenne a notamment introduit la loi européenne sur l’IA (AI Act), qui encadre strictement les utilisations à haut risque, incluant celles de la défense. Aux États-Unis, le Département de la Défense a établi des principes éthiques pour assurer une gouvernance humaine appropriée des systèmes militaires autonomes. Le Conseil de l’Europe a également adopté un traité international visant à garantir le respect des droits fondamentaux dans les applications militaires de l’IA. Toutefois, la mise en œuvre de ces réglementations internationales reste complexe, notamment en raison des divergences politiques, économiques et stratégiques entre les pays, limitant ainsi leur portée effective.
Ces initiatives constituent des premières étapes importantes vers un cadre international plus large et coordonné, capable de réguler efficacement les risques liés à l’IA militaire, tout en protégeant les valeurs humanitaires et démocratiques qui fondent nos sociétés.
