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L'Etat et nos retraites : il est plus facile de prendre des risques avec l'argent des autres (BDL CM)

26/06/2025

Depuis octobre 2024, l’Etat français a rendu obligatoire l’investissement dans le private equity pour tous les nouveaux PER (Plan épargne retraite) en gestion pilotée, le mode de gestion proposé par défaut. Avec cette décision unilatérale, l’Etat explique donner l’opportunité aux particuliers de financer « l’économie réelle». Le point de vue de Laurent Chaudeurge, membre du comité d’investissement de BDL Capital Management.

Cette nouvelle contrainte est-elle légitime et dans l’intérêt des épargnants ?

Le private equity est une classe d’actifs attrayante et qui a fait ses preuves sur longue période. C’est une courroie de transmission essentielle entre le capital des investisseurs institutionnels et le financement des petites et moyennes entreprises privées. Les performances historiques sont bonnes et l’absence de valorisation quotidienne réduit la volatilité à court terme. 

Pour l’Etat, cette décision est une évidence. Il montre qu’il prend des mesures pour financer l’économie réelle et offre à l’industrie du privateequity une nouvelle source de financement quasi parfaite car elle est très stable et à très long terme, l’épargne retraite des particuliers. Pour les ménages, se voir forcer la main par l’Etat invite au questionnement car les intérêts des pouvoirs publics sont souvent pollués par diverses ambitions politiques.

Si pour l’Etat, le private equity finance l’économie réelle, est-ce à dire que la bourse représente l’économie virtuelle ?

Dans les faits, les marchés cotés représentent autant l’économie réelle que les marchés non cotés. Que ce soit de grands champions mondiaux comme Hermès, L’Oréal ou Air Liquide ou de plus petites entreprises françaises comme Elis, Trigano ou Robertet, toutes ces sociétés sont cotées en bourse et sont des entreprises bien réelles et non virtuelles. Elles emploient des dizaines de milliers de collaborateurs, construisent des usines, commercialisent des produits et investissent chaque année plusieurs milliards d’euros pour nourrir le développement économique de notre pays. Leur croissance est financée par les vrais euros des investisseurs particuliers et institutionnels qui sont leurs actionnaires, au même titre que les fonds de privateequity sont les actionnaires des entreprises privées. Tous les PER investis en actions cotées participent donc déjà largement au financement de l’économie réelle.

Certains laissent parfois entendre que la performance du privateequity est meilleure que la performance des marchés cotés sur longue période. Ce type de conclusions dépend bien évidemment des échantillons analysés, de l’horizon de temps étudié et des méthodes employées. Différentes études apportent différentes conclusions qui sont souvent contradictoires. Ce sujet de la performance n’est donc pas assez indiscutable pour justifier la contrainte imposée aux particuliers.

Il y a aussi d’autres éléments qui posent question quant au bien-fondé de la décision de l’Etat.

Tout d’abord, le private equity est une classe d’actifs moins liquide que les actions cotées. En moyenne, il faut attendre 8 ans avant de récupérer son épargne et l’information publiée par les entreprises est beaucoup plus limitée. Certes, l’illiquidité permet de ne pas valoriser les investissements quotidiennement, mais cela ne veut pas dire que ces investissements ne peuvent pas perdre en valeur.

Ensuite, les sociétés détenues par les fonds de privateequity sont généralement plus petites et plus endettées (3 ou 4 fois plus) que les sociétés cotées. Les investissements en privateequity sont donc par nature plus risqués et ils étaient jusqu’à maintenant réservés aux investisseurs professionnels.

Enfin, quid du timing de cette loi ?

Le private equity montre quelques signes d’essoufflement et la collecte ralentit. Pendant des années, l’afflux de capitaux massif dans l’industrie et les taux d’intérêts très bas ont favorisé une forte hausse des prix d’acquisitions. Aujourd’hui les conditions sont différentes, les cessions plus compliquées et certains des plus grands investisseurs historiques constatent que les performances de certaines stratégies sont décevantes depuis deux ans par rapport aux autres classes d’actifs.

Que le private equity soit une option d’investissement intéressante est une évidence. Qu’il apporte des avantages différents et complémentaires de l’investissement en bourse l’est aussi. Mais il est aussi évident qu’il est par nature plus risqué et que sa dynamique actuelle doit amener les investisseurs à la vigilance.

Dans ce contexte, il ne faut pas remercier l’Etat de nous imposer d’investir dans cette classe d’actifs avec l’épargne que nous destinons à nos retraites. Qu’il nous en donne la possibilité est probablement une avancée souhaitable mais qu’il nous l’impose, dans les contrats en gestion pilotée, semble être un excès d’autorité injustifié.



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