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Un secteur financier européen résilient et mieux préparé qu’en 2008

31/03/2023

Qu’en est‑il des incertitudes bancaires aux Etats‑Unis ?

Avec la remontée des taux d’intérêt, l’écosystème des startups, faisant face à des coûts de financement plus élevés, a été contraint à puiser dans ses dépôts. Ces retraits ont mis en lumière la mauvaise gestion du risque de taux de trois banques américaines, qui ont déposé le bilan : Silvergate Bank, Signature Bank et Silicon Valley Bank.

Le dénominateur commun de ces 3 établissements : une surveillance règlementaire faible du fait de leur taille et une concentration des déposants, faible granularité du passif. Attardons‑nous sur le cas de la Silicon Valley Bank.

Cette dernière était spécialisée dans le financement des entreprises technologiques et avait une activité de capital‑risque et de capital investissement importante. Le 9 mars 2023, afin de pouvoir répondre aux demandes de retrait des déposants (au passif, SVB a dû céder des titres obligataires dépréciés (à l’actif), matérialisant une perte de 1.8 mds$. Les actifs étaient de bonne qualité crédit (il s’agissait pour l’essentiel d’emprunts d’état US) mais de maturité très longue (donc dépréciés après le choc obligataire de 2022) et le risque de taux n’était pas couvert. Cela traduisait donc une gestion du risque et une gestion ALM (actif / passif) défaillantes.

La banque annonce alors une augmentation de capital de 2.25 mds$ afin de renforcer sa solvabilité. L’annonce provoque une chute du cours de bourse de plus de 60 %, ce qui compromet l’augmentation puis suspend la cotation. Le 10 mars, le bureau californien de la protection financière et de l’innovation prend officiellement possession de l’établissement en invoquant le manque de liquidité et son insolvabilité et place ce dernier sous le contrôle de la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation).

Aux États‑Unis, les banques dont les actifs sont inférieurs à 250Mds$ (catégorie IV) ne sont pas assujetties aux ratios de liquidité et de financement stable comme peuvent l’être les grandes banques américaines et toutes les banques européennes. Le cas SVB est un cas atypique de « fuite des dépôts » ou « ruée bancaire » en raison d’une faiblesse de sa gestion ALM (inadéquation entre la duration de son passif et de son actif) et d’une concentration trop importante des déposants sur une typologie de clientèle (corporate) et un secteur d’activité (technologique) spécifiques. Il est probable que d’autres banques américaines de catégorie IV soient à risque dans leur gestion des ratios de liquidité et de financement, en revanche le risque ALM est bien exclu des banques américaines plus importantes et des banques européennes.

Cette situation peut‑elle se produire en Europe ?

En Europe, toutes les banques sans exception sont sous supervision de la Banque Centrale Européenne, soit directement ou indirectement. Selon des critères de taille, d’importance pour l’économie et la part d’activités transfrontalières, les banques les plus importantes sont directement supervisées par la BCE, les établissements de taille moins importante sont supervisés par leurs autorités de surveillance nationales, sous la surveillance de la BCE. Les mesures prudentielles visent à faire en sorte que les établissements supervisés prennent les dispositions nécessaires pour garantir le respect des exigences prudentielles. Ces dernières consistent à des exigences de fonds propres élevées et de qualité, des exigences de liquidité (ratio de couverture et de financement stable) et des limitations de l’effet de levier. La Banque Centrale Européenne effectue des contrôles réguliers ainsi que des tests de résistance pour évaluer le niveau de préparation des banques aux chocs financiers et économiques.

Par ailleurs depuis la crise de 2007, la surveillance bancaire s’est renforcée ainsi que les fondamentaux. La qualité des actifs s’est améliorée avec une part des prêts non‑performants passant de 10 % en 2015 à proche de 3 % sur l’ensemble des banques européennes. Les capitaux propres se sont renforcés en lien avec l’application des normes de Bâle III : en 2015 les ratios de capitaux totaux étaient de 15,8 % tandis qu’ils sont aujourd’hui de 18,7 % (Q3 2022). Le ratio de couverture des besoins de liquidité, qui vise à garantir que les banques disposent de suffisamment d’actifs liquides à court terme, est passé de 137,6 % en 2016 à 162 % en 2022. Par ailleurs, le contexte actuel de hausse de taux est positif pour la profitabilité des banques, augmentant les marges d’intérêt et la performance des actifs.

Source : Banque Centrale Européenne au T3 2022

Quid de Crédit Suisse ?

Depuis plusieurs années, Crédit Suisse est impliqué dans plusieurs scandales de gouvernance, la confiance des investisseurs déclinait. En 2022, l’établissement annonçait une perte de 4 mds de CHF au titre de son résultat de son 3e trimestre, provoquant une première fuite des dépôts. En février 2023, Crédit Suisse annonce une perte nette de 7.3 mds de CHF pour l’exercice 2022 et prévoit une nouvelle perte pour l’année 2023. Leur rapport annuel est publié avec retard en raison d’une enquête de la SEC sur la gestion des risques.

Dans ce contexte tendu du secteur bancaire, le 15 mars, la Saudi National Bank (SNB), premier actionnaire de Crédit Suisse (détenant alors 9.9 % du capital), déclare qu’il n’apportera pas plus de soutien en capital pour des raisons de seuil de détention réglementaire. Cette phrase sortie de son contexte et qui intervient dans un contexte sensible provoque la chute de l’action de 30 %. Le Credit Default Swap (CDS) est également sous pression allant toucher 1000 bps, matérialisant un niveau de stress très élevé.

La confiance est alors rompue malgré les tentatives du management de rassurer les déposants et les contreparties de la banque et malgré l’annonce de la BNS (Banque Nationale Suisse) d’un soutien de liquidité à hauteur de 50 mds de CHF le dimanche 19 mars, la FINMA (autorité fédérale de surveillance des marchés financiers suisse) annonce avoir donné son accord pour le rachat de Crédit Suisse par UBS pour 0.76 CHF par action pour un montant total de 3 mds de CHF. La grande surprise réside dans le traitement des porteurs de dette Additional Tier 1 (AT1) dont la valeur a été entièrement dépréciée (16 mds de CHF).

Pour rappel, en Europe, la hiérarchie des créanciers est la suivante :

 

Le fait que les détenteurs d’AT1 aient été effacés alors que les actionnaires ont obtenu 3 mds€ est une inversion évidente de la hiérarchie normale des créances et crée un précédent sur la classe d’actifs. Normalement, la dépréciation des dettes subordonnées AT1 doit être déclenchée en raison d’un montant insuffisant de capital pour Crédit Suisse, ici le ratio de Core Equity Tier 1 (CET1) ne semble pas être descendu sous les seuils prévus. La Banque Centrale Européenne et la Banque d’Angleterre ont réaffirmé depuis que la hiérarchie de subordination prévoyait d’abord des pertes pour les actionnaires puis pour les obligataires subordonnées en Europe et au Royaume Uni, ce qui a permis de réduire la chute des cours.

Enfin, nous notons que les porteurs de dettes seniors Crédit Suisse ne seront pas impactés, puisqu’elles seront in fine assimilées à des dettes séniors UBS. Les dettes Tier 2 Crédit Suisse seront également préservées.

Le récent effondrement de Crédit Suisse ne signifie pas que les autres établissements sont à risque. L’établissement souffrait d’une perte de confiance depuis quelques années traduisant des défaillances de gouvernance, de suivi des risques et contrôle interne.

Enfin, a contrario de la dernière crise bancaire de 2008, nous avons pu assister à une mobilisation extrêmement rapide des régulateurs et banques centrales suisse, européens et américains avec des solutions qui ont été apportées à chaque fois en seulement quelques jours sans déstabiliser de manière importante les marchés financiers (extension de la garantie des dépôts, mise en place de système d’échange de devises (« swaps »). Ce dernier épisode illustre parfaitement la volonté des autorisés de rassurer les marchés et à montrer l’efficacité des nouvelles réglementations bancaires sont efficaces et que les principaux acteurs ne laisseront pas le risque systémique s’installer.

Dans ce contexte, quel est votre positionnement ?

Depuis la fin d’année 2022, nous privilégions le secteur financier par rapport au crédit d’entreprises pour plusieurs raisons : les fondamentaux et la valorisation. Nous sommes exposés en majorité sur les formats seniors et senior non‑preferred, plus marginalement aux dettes subordonnées Tier 2 et nous n’investissons pas sur les dettes subordonnées AT1. Nous privilégions également les banques européennes dont la supervision évoquée plus haut nous assure une maîtrise des risques inhérent au secteur bancaire. Nous privilégions également les émetteurs financiers dont la banque de détail représente une part conséquente des revenues, pour leur profil défensif, et les banques systémiques. Nous continuons de penser que le secteur bancaire européen est solide et que la réévaluation des valorisations créera des opportunités. Les inquiétudes concernant le secteur bancaire nous semblent excessives compte tenu de la solidité du profil de liquidité et du niveau de capitalisation des banques européennes.

Du côté de la dette d’entreprise, nous adoptons un positionnement défensif avec une préférence pour les secteurs résilients comme la santé, les télécommunications, les services au détriment des loisirs, du tourisme et des foncières. Les craintes sur les marges et plus globalement sur les fondamentaux des entreprises nous incitent à privilégier les émetteurs de haute qualité (A à BBB+). Nous pensons que la thématique de la « décompression des spreads » (c’est‑à‑dire une sous performance des émetteurs les moins bien notés / les plus fragiles en raison de leurs fondamentaux crédit moins bons par rapport aux émetteurs les mieux notés / les plus solides) devrait se poursuivre.

Nous n’excluons pas de la volatilité à court terme mais nous pensons que les niveaux de taux et de spreads actuels marquent des cibles intéressantes en termes de rendements offerts sur le marché du crédit Investment Grade. Nous n’anticipons pas de resserrement massif sur les spreads de crédit mais nous pensons que le portage offert compensera la volatilité et rend incontournable le crédit IG € en 2023.

Achevé de rédiger le 24 mars 2023



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